Rassemblement à 5 heures du matin et en route pour l’usine « Hermann Goëring« , où le travail commençait à 6h00 et se terminait à 18H00. Mais avant cela, le plaisir de notre stubdienst (l’homme à tout faire du bloc) était de nous faire sortir en un laps de temps, toujours, de plus en plus court. Il allait au fond du bloc prenait le tuyau d’arrosage avec un embout de cuivre, et le faisait tournoyer devant lui, en marchant vers la sortie. Tant pis, si cela rencontrait un crâne, un bras . Le déporté devait se relever et filer vers la sortie sinon c’était presque la mort assurée. Parfois, il prenait un trépied que nous avions dans le bloc, en arrachait un des pieds puis balançait le trépied devant lui, se servant de cet énorme bout de bois qu’il faisait tournoyer devant lui comme un gourdin. Il réussissait à faire sortir entre 800 et 900 individus en mois de 5 minutes. Dehors, nous devions attendre le bon plaisir du « S.S » . Et je te compte, et te recompte. Et tout cela au garde à vous par n’importe quel temps, pluie, neige ou gel. Celui qui bougeait recevait un coup de matraque. Enfin, c’était le départ, car nous devions être à l’usine à 6h00 pour remplacer l’équipe de nuit.
L’usine s’étalait sur des dizaines de kilomètres carrés et fabriquait d’énormes obus. Dans ces lieux étaient extraits le métal, le charbon enfin tout ce qui était nécessaire pour la fabrication de ces engins de mort. Devant nous, dans ces immenses ateliers, se dressaient des presses gigantesques, des fours énormes et quand la porte d’un de ces fours s’ouvrait, il se dégageait une chaleur de 1800 degrés. Notre travail consistait à y enfourner avec de longues pinces, un bloc d’acier qui ressortait par l’arrière , tout rougi.
Mon travail consistait à prendre ce bloc d’acier en forme d’environ un mètre de long. Nous étions deux à le récupérer à l’arrière de la presse, et à le faire rouler encore incandescent, sur du sable afin de le laisser refroidir. Avec mon compagnon de misère, il fallait synchroniser nos gestes, sinon, c’était la catastrophe. (…) Quand pendant notre travail, nous voulions boire, il fallait se faire remplacer car les blocs d’acier sortaient sans discontinuer des fours. (…) Il était impossible de rester une journée complète sans boire devant ces gueules béantes qui avalaient ces blocs d’acier, sous les cris incessants des kapos qui hurlaient sans cesse « loos, loos », (vite, vite), et qui pour se distraire, donnaient un coup de schlague sur la tête ou sur le dos d’un déporté. Notre usine de fabrication d’obus travaillait 24h sur 24. Je fus appelé à l’usine de peinture. C’était le bout de la chaine de fabrication. Comme les gros obus, ils étaient coupés en morceaux, chauffés dans les presses, emboutis, refroidis et ensuite arrivaient dans notre atelier « Hall1 » où ils étaient usinés, taraudés.(…) Le contrôle consistait à vérifier si l’extrémité de l’obus était bien taraudée de l’intérieur et chaque obus était tamponné avec un pinçon soit un « T » (tolérés) soit un « G » (gute), bon. Les « bons » servaient pour les canons, les « tolérés » servaient pour les bombardements; Comme des Français étaient chargés de ce travail, inutile de vous dire le nombre de « T » et de « G » inversés ! C’était du sabotage. S’ils étaient pris. La corde. J’ai assisté à de nombreuses pendaisons, car tout le monde était obligé d’y assister.
Vers 12H30, le travail reprenait, la faim nous tenaillait le ventre et cela jusqu’à 18h, heure où l’équipe de nuit prenait la relève, ce qui fait que les machines ne s’arrêtaient pas. Après le rassemblement, retour au camp où nous étions à nouveau comptés. Puis, nous attendions l’entrée au bloc. Si le chef du bloc était de bonne humeur, nous rentions immédiatement et touchions notre ration de pain et un carré de margarine ; en cas contraire, selon son bon plaisir, il nous faisait attendre à l’extérieur par n’importe quel temps, parfois plus dune heure. Il faisait cela par sadisme.
(…)Vers le mois de Mars 1945, un nouveau bombardement eut lieu. Cette fois, le travail fut complétement interrompu. Nous restions enfermés dans nos blocs et tous les jours, nos Kapos venaient chercher 100 à 200 déportés pour des corvées extérieures et naturellement pour les sales travaux, ils cherchaient des Français. Un jour je fus pris avec mon ami, Max. Munis d’une pelle et d’une pioche, nous fûmes emmenés à plusieurs kilomètres du camp sur une hauteur où le vent soufflait et il faisait près de -20°. Nous avions toujours nos tenues d’été. Chacun d’entre nous était chargé de faire une tranchée d’un mètre de long sur cinquante centimètres de large. Max n’avait pas la force de soulever sa pioche. A ma gauche, mon ami russe Nicolas qui travaillait comme un forcené. « Françose roboti, roboti « (travail, travail) et en Allemand: « Plus vite tu feras ton trou, et plus vite tu seras à l’abri du vent glacial ». Il avait raison(..) Ces tranchées étaient prévues pour enterrer des conduites de gaz, qui jusque là étaient aériennes et sautaient à chaque bombardement. (…) Mon ami Max n’ayant plus le courage et la force, s’accrochait à moi pour rentrer au camp. Il me disait sans arrêt qu’il voulait mourir….Seul l’espoir d’avaler son litre de soupe et de mordre dans sa ration de pain le maintenait en vie.
(…) Comme les fours ne marchaient pas faute de gaz pour les approvisionner, nous faisions des corvées et tout cela jusqu’ au 8 avril 1945 où les clôtures électriques du camp furent abattues. Derrière, sur la voie de chemin de fer, un train avec des wagons minéraliers nous attendait, des wagons à ciel ouvert avec des parois d’environs de 2 mètres de haut. Nous fumes embarqués à la vitesse grand « V » à coups de triques par nos kapos. (…) Dans mon wagon, nous étions environ une cinquantaine dont Jean MARTIN qui ne me quittait pas d’une semelle, d’autres Français ainsi que mon ami Max. Le pauvre commençait à délirer….
Jankiel Klajman